Les quatre phases de la conscience méditative
La première phase consiste à rechercher le calme intérieur en se concentrant sur la posture et la respiration abdominale. Pensées, soucis, émotions, agitation s’éliminent progressivement. C’est le niveau du débutant, qui peut durer longtemps.
La deuxième phase existe quand les pensées ne parlent plus en soi et que les émotions ne provoquent plus d’agitation. Cette phase s’installe après plusieurs mois ou années de pratique. Le méditant a alors éliminé toute forme d'angoisse et de peur psychologique. Elle correspond à un stade profond de la méditation, car l’état d’esprit juste a été atteint. Cependant, la dimension spirituelle ne se manifeste pas encore à la conscience.
La troisième phase introduit une dimension spirituelle. Le méditant a des perceptions suprasensibles (décrites dans les ouvrages de Rudolf Steiner) et connaît des moments d’éveil, d’illumination, appelés satori. À ce stade, il est possible de maîtriser ses instincts et de vivre dans une plus grande liberté intérieure.
Le quatrième stade est aussi le dernier auquel l’être humain peut arriver. Les Japonais le nomment Sanmaï, les Hindous Samadhi et les religions chrétiennes Béatitude. Le face-à-face avec l’Ultime vérité, l’Absolu ou Dieu est alors possible. À ce niveau, le karma est purifié et l’éveil atteint. Ce stade est accessible à peu d’êtres humains.
Le rappel de soi
Pour se connaître réellement et arriver à entrer en contact avec sa nature véritable, deux méthodes peuvent être utilisées : le rappel de soi et la méditation. Le rappel de soi est la méthode active. On s’observe dans ses activités quotidiennes : aussi bien dans son corps physique que dans ses émotions et dans son mental. La Gnose chrétienne appelle le rappel de soi l’exercice de "constatation". Ce mot me semble le plus juste.
Constater, c’est reconnaître l’état objectif d’une chose, d’un être ou d’un phénomène, c’est établir un fait sans y appliquer aucun jugement personnel. Le rappel de soi est une constatation de l’état du monde extérieur et de notre propre état, à la fois extérieur (posture, etc.) et intérieur : les pensées qui se déroulent, les émotions qui nous traversent.
Mais il implique, outre le constat d’un fait, de savoir qu’on est en train de le constater. Peu importe ce qu’on fait, on le fait consciemment. Le rappel de soi est l’exercice primordial de la connaissance de soi, le seul qui permette d’arriver à une conscience de plus en plus grande.
Le rappel de soi, qui est conscience en même temps du monde extérieur et de soi-même, comprend deux aspects :
Un rappel de soi "extérieur", un regard sur soi-même comme sur un objet extérieur à soi. Si, maintenant, vous prenez conscience de vous-même, avec vos pieds sur le sol, votre regard sur ces pages, votre mal au dos, etc., vous vous observez comme on observe quelqu’un d’extérieur.
L’autre exercice est un rappel de soi "intérieur", l’observation de soi-même dans sa vie intérieure - émotions, pensées, sensations. On s’observe en train de penser ou de ressentir.
Il y a une différence entre les deux et il n’est pas facile de les combiner. Si vous essayez maintenant de faire cet exercice, en vous percevant assis là, fatigué, ayant trop froid ou trop chaud, vous avez du mal à percevoir en même temps ce que vous ressentez ou ce que vous pensez.
Quand vous commencez à observer ce que vous pensez, vous vous oubliez aussitôt. Celui qui est dans le rappel de soi a une conscience ouverte, il sait ce qu’il est en train de faire, ce qu’il pense, ce qu’il ressent, ses mouvements, etc., et il perçoit ce qui l’entoure. Voilà ce vers quoi doit tendre la conscience.
La constatation est le moyen, selon le mot des Orientaux, de "s’éveiller". C’est également le mot du Christ : "Réveillez-vous" ou "Veillez", adressé à tous ceux qui dorment. L’être humain est un être endormi, il faut qu’il s’éveille. Nous sommes tous sous l’emprise d’une somnolence mentale quasi permanente. Vous savez bien qu’on peut regarder sans voir. C’est ce qui caractérise la majorité de nos perceptions visuelles : nous ne prenons conscience que d’une infime partie de ce que nous voyons. Si vous commencez à observer un peu mieux en regardant autour de vous, vous vous rendrez compte qu’il y a une multitude de détails que vos yeux ont vus sans que vous les enregistriez réellement. S’éveiller, c’est élargir son champ de conscience, c’est passer d’un état de conscience ordinaire à un état supérieur.
En faisant régulièrement cet effort d’observation consciente, la qualité des perceptions s’améliore. Vous voyez beaucoup plus et vous êtes conscient de tout ce que vous voyez. Vous savez quelle est la couleur du pull de votre voisin ou l’air qu’il avait en arrivant. Vous percevez ce qui est de nature physique et, de plus en plus, ce qui est de nature subtile. Votre rappel de soi peut prendre une forme plus active : vous pouvez décider de percevoir les choses comme elles se présentent ou vous concentrer plus particulièrement sur un objet, ce que vous êtes en train de lire, par exemple.
La connaissance de soi
La méditation est la méthode passive-réceptive. On s’assoit dans la position adéquate, on donne un rythme à sa respiration, on ferme les yeux et on observe ce qui se passe. Voilà la méditation véritable : s’asseoir et regarder, sans porter de jugement. Par ce regard intérieur qui observe tout ce qui se déroule devant lui, vous apprenez peu à peu à voir ce qu’il y a dans votre mental.
Comment voulez-vous apprendre à vous connaître réellement si vous ne vous asseyez pas, en fermant les yeux, pour regarder ce qui se passe en vous ? Dans un livre ? En demandant à un autre qui vous êtes ? La seule façon d’apprendre à se connaître est de s’observer. On peut le faire en mouvement dans le monde extérieur, ou s’asseoir, fermer les yeux et observer. Et dès qu’on commence à juger, c’est fini : on a arrêté de s’observer.
Les moines zen méditent intensivement une dizaine d’heures tous les jours de l’année, dans la joie, pour deux raisons. La première, c’est qu’ils savent que, par leur méditation, ils font entrer le monde spirituel dans la Terre. Ils font pénétrer l’esprit dans la matière et ceci conduit la matière vers la spiritualisation. La seconde, c’est que la méditation mène à l’éveil et à la plénitude intérieure. La méditation conduit toujours à l’apaisement de l’esprit et à la faculté de trouver le calme intérieur, qui rend plus efficace dans la vie quotidienne. Elle permet de développer l’intuition et de comprendre plus vite. Elle fait naître un sentiment de joie intérieure, à la fois dans le corps, le cœur et l’esprit.
La méditation conduit à la connaissance de soi-même et au-delà : elle permet d’aller à la rencontre du "divin". Elle permet d’être parfaitement présent et d’observer ici et maintenant la réalité. Le méditant est attentif à la posture de son corps tout en laissant passer ses pensées et ses émotions. La méditation est un moyen pour dépasser non seulement les illusions, les projections et les spéculations de l’intellect, mais aussi les troubles émotionnels. La nostalgie du passé et la peur du futur s’atténuent.
Peu à peu, le méditant commence à faire l’expérience du ralentissement de la succession des pensées et du vide qui se situe entre elles. Dans ce silence intérieur se manifeste "quelque chose" de plus profond et de plus élevé, qui ne peut pas être décrit avec des mots, mais seulement être vécu. L’esprit humain est alors libéré de ses conditionnements et de ses attachements. Il est en contact avec sa nature véritable. La méditation correcte n’est jamais une fuite devant les problèmes de la vie quotidienne. Au contraire, elle donne la force pour les dépasser plus facilement.
Trois formes de méditation
Il existe trois formes essentielles de méditation. Toutes les autres formes en sont soit des imitations, soit des déviations. La première, c’est s’asseoir et prendre conscience de tout ce qui se passe et de tout ce qui passe, intérieurement et extérieurement.
La deuxième, c’est la concentration sur un objet, qui peut être un objet extérieur ou intérieur comme une pensée, un mantra ou la respiration. Enfin, il existe une troisième forme, mais qu’il ne faut pratiquer qu’après avoir longtemps pratiqué les deux premières : c’est la méditation avec une question. Au début de la méditation, on pose une question existentielle, puis on pratique l’une des deux autres méthodes pour méditer et on laisse la réponse venir.
Cette forme de méditation ne doit pas être pratiquée avant d’avoir une maîtrise suffisante de la respiration, des pensées, de la posture ; sinon, ce qui vient est à peu près n’importe quoi et correspond au confort, aux désirs, aux envies, mais pas à la réalité profonde. Il faut avoir accès à un mouvement plus profond de soi pour pouvoir utiliser la troisième méthode, qu’on appelle habituellement la "contemplation".
La méthode que nous privilégions navigue entre les deux premières formes de méditation : elle demande de se concentrer sur la respiration, donc c’est une méditation avec un objet, et elle vous dit de laisser passer tout ce qui vient, comme les pensées ou les bruits extérieurs. Vous laissez tout passer. Elle est donc véritablement un mélange des deux premières méthodes.
Par Idris Lahore
Article publié avec l'aimable autorisation de la revue Science de la Conscience.